mardi, juillet 25, 2006

Faire sa valise


Valise
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Après la campagne qui ne durait qu’un mois, on nous exilait dans les colonies.
Vous ne savez peut-être pas comment cela se passe alors, je vais vous conter quelques uns des souvenirs qui m’ont le plus marqués de cette époque.
Tout d’abord, avant le départ, chacun des bagnards devait coudre sur ses effets une petite languette avec son nom propre. L’éducation parentale que nous recevions se voulait non-sexiste, ce qui veut dire que garçons ou filles devaient prendre l’aiguille et le fil et faire les deux petits points qui fixeraient un bout du ruban brodé, et qui nous gratterait tout l’été. Puis nous pliions et rangions les vêtements bien proprement dans une valise de carton rigide en suivant les prescriptions qui nous étaient fournies.
Nous nous voyions alors confié un peu d’argent de poche proportionnellement à notre âge et une douzaine d’enveloppes timbrées et pré-adressées destinées aux parents, grands-parents, oncles et tantes.
Ensuite, selon la destination du camp ou nous étions envoyés par paire, nous devions rejoindre la bande de codétenus soit à la gare routière soit à la ferroviaire. Afin que l’on ne meurt pas idiots, ces camps étaient choisis selon l’appréciation parentale de nos gouts : Découverte des étoiles, du camping, du vélo, de la pêche, de la géologie, des sciences.
Après un voyage qui dans tous les cas nous semblait très long et pénible, nous faisions connaissance des règles qui régissaient les lieux.
En gros, il s’agissaient des mêmes que celles de la pension, bref, pas de quoi nous dépayser. La seule différence tenait dans le temps consacré aux activités (au lieu de la classe). Si le temps était à la pluie, nous remplissions nos devoirs épistolaires, sinon, nous trouvions ce pourquoi l’on nous y envoyait. Malgré tout le mal et la souffrance psychologique dont je faisait état dans mes courriers, j’y prenais généralement un grand plaisir. J’avais la chance d’avoir à mes côtés, un grand frère plutôt protecteur, prompt à ma protection dans les conflits qui ne pouvaient manquer d’éclater lorsque l’on réuni autant de jeunes garçons dans un environnement un peu lâche.
Je n’ai pas grand souvenir des noms des étoiles ni même des différentes strates géologiques, mais j’ai de bon souvenir de la casse des cailloux dans une carrière à la recherche des traces de notre passé, de nos expéditions dans la campagne française de la côte d’or à la recherche des excréments de chouettes ou de l’observation du comportement des bousiers. Je conserve encore le goût du riz au lait au chocolat que nous avions fait nous même près d’un cours d’eau ou nous avions pêché. Je ne peut voir le reflet des ailles d’une demoiselle sans que me revienne le souvenir de la fraicheur de ce ru lors de notre toilette matinal et des jeux d’eaux qui en découlait.
Je n’y ai pas conservé que des bons souvenirs. Je me rappelle combien ma crainte des serpents me gâchait la joie de ces instants. Il me revient aussi une engueulade mémorable qui me semblait immérité : Lors d’un de ces ateliers scientifiques, nous étions sensés produire des inclusions de produits naturels. Il s’agissait d’immortaliser dans un composé plastique un élément naturel qui nous semblait beau. Nous le déposions dans le plastique et le lendemain nous devions le démouler et rapporter en souvenir cette production à nos parents. Mon frère avait sélectionné une petite couronne de fleures blanchâtre qu’il avaient tressée lui même et n’ayant pas sa dextérité j’avais opté pour une belle branche de graminée et un escargot doré. Mais le lendemain, alors que chacun découvrait sa composition, j’eu la surprise de voir que mon escargot s’était transformé en un amas de bulles représentant bien la dure agonie du gastéropode. Il ne m’était pas venu à l’esprit que l’animal ne meurt pas instantanément comme les papillons que l’on enfermaient dans des bocaux de cyanure quelques secondes. Il ne s’agit pas là de mon pire souvenir de ces colonies. Le plus humiliant eut lieu la même année. Juste avant le retour, j’avais, fièrement afin de recevoir les félicitations maternelles, entrepris une grande lessive destinée à nettoyer tous mes vêtements crottés. Malheureusement, la météo de la Bretagne est souvent changeante et nous étions passé d’un extrême à l’autre en l’espace de quelques heures, la pluie avait succédée aux nuages. Mon linge ne fut donc pas sec avant notre départ. Qu’à cela ne tienne, en pliant bien, au bout de la journée de voyage, j’escomptais obtenir un linge non seulement banc mais aussi bien repassé car compressé dans la valise. Malheureusement, arrivé gare d’Austerlitz, je me retrouve ne tenir en main qu’une simple poignée, la valise éclatée par le fond dégoulinant un linge non seulement sale mais aussi plein de trace de moisissures. En effet, les valises en carton de cette époque, si elles étaient cirées et vernies sur la surface externe, présentaient sur l’interne un semblant de papier vichy à carreau gris qui s’était empressé d’absorber l’humidité et de déteindre sa grisaille. Je peut vous dire, que ça, c’est la grande honte. Se retrouver devoir attendre ses parents, avec les deux arceaux de la valise marron, du carton comme mâché et ses sous vêtements à l’air dans le hall de la plus grande gare parisienne, en période de grande affluence. J’avais l’impression d’être un pestiféré sur une ile au sein du flot de voyageur. Une ile déserte puisque mon grand dadais de frère se fendait comme une baleine d’un rire qui me hante encore parfois.
P.S. : J’ai vu l’été dernier chez mes parents, l’autre valise en carton, celle de mon frère. Ca m’a fait un rude choc. Je pensais que ces vieilleries avaient été jetées.


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