vendredi, juillet 21, 2006

Maison de campagne

Après La Brée et la mer, mes parents trouvèrent plus rationnel et propice à notre développement d’investir dans une « maison de campagne ». J’étais présent lorsqu’ils fixèrent leur choix sur une maison à la hauteur de leurs moyens, et, c’est je crois la seule et unique fois où j’ai eu à me réjouir des horribles bas de laines noirs que l’époque et la mode imposaient aux garçonnets qui n’avaient pas l’âge de quitter leurs culottes courtes. Il s’agissait d’une petite maison de briques des années trente posée sur une cave voutée et totalement entourée d’orties plus hautes que moi.
Trois pièces d’une vingtaines de mètres carrés, une chambre de chaque côté de la pièce principale où ce trouvait une vieille cuisinière à bois et un évier. On accédait par un escalier extérieur côté cour à la cave ou au grenier. Au fond de celle-ci, se trouvaient les « dépendances », soit un poulailler, un abris pour le bois et les clapiers et une soue (pièce où l’on élevait jadis le cochon familial). Je me souviens qu’à l’époque, tandis que mes parents fêtaient leur nouvelle acquisition, je m’interrogeais sérieusement sur la stabilité de leur santé mentale. Je ne pouvais comme eux me projeter vers l’avenir et imaginer ce que cette masure deviendrait. Pourtant, lorsqu’il la vendirent en 1978 ou 79, j’ai su que je la regretterais toujours. Elle s’est accrue et modernisée au fil de notre propre évolution. La porte centrale côté rue s’est transformée en fenêtre. L’une des deux chambres s’est fondue dans la pièce principale donnant une vaste salle-salon. L’escalier extérieur est devenu interne après l’adjonction d’une cuisine moderne et d’une vaste salle de bain grignotant sur la cour qui toutefois s’agrandie par l’achat à nos voisins d’une parcelle de terre mitoyenne. La cave abritait la chaudière d’un chauffage central dont la cuve de fioul occupait toute la soue. Les clapiers firent place à un grand préau et le poulailler devint une cuisine d’été.
Enfin, à l’époque elle correspondait en tous points aux critères parentaux : Desservie par la SNCF, moins de 150 kilomètres de Paris, loin de toute circulation, une charpente saine, une toiture imperméable, l’eau et l’électricité mais surtout, pas chère. Nos critères enfantins eux n’avaient pas changés : l’aventure. Il n’y a pas d’autres mots pour décrire les expéditions hebdomadaires du Jeudi dans ce qui ressemblait tout au moins au début, à un campement de fortune. En effet, nous rapportions de Paris par le train l’indispensable nécessaire, traversant le village de moins de cent âmes la tête haute et les bras chargés. Les rideaux s’écartaient pour regarder passer les six « Parisiens » mais nous n’y croisions jamais personne, on nous évitait. Seuls, nos voisins immédiats daignaient nous adresser la parole. Il ne s’agissait pas là d’une marque de fierté, mais uniquement de l’expression d’une grande timidité. Peu à peu nous fîmes la connaissance de nos concitoyens, en allant chercher le lait à la ferme un peu plus bas ou en nous mêlant aux jeux de la bande de gamins de tous âges qui courrait la campagne et brûlait de connaître la « Vie Parisienne ». Nous pûmes ainsi découvrir combien l’accueil des gens du Santerre peu être chaleureux une fois leur porte franchie.
Vous pourriez croire que nous passions tous nos jeudi et vacances à retaper la maison, mais non. Certes nous avons joué à casser les clapiers à la masse en d’ahan antes démonstrations de force ou creusé des tranchées ou des puisards, mais uniquement par jeu. J’ai eu, je me dois de le reconnaître des parents attentifs à nos besoins. Ils pouvaient nous sacrifier un ou deux jours entiers à une partie de Monopoly u tout autre jeu de société qu’il leur plaisait de nous enseigner. J’appris ainsi à jouer à la manille, la belotte ou le rami, ils remplaçait fabuleusement bien la télévision que nous n’avions pas sur place. D’ailleurs, je me souviens d’avoir été invité avec toute la famille à regarder Armstrong marcher sur la lune depuis le poste de nos voisins. Les gros travaux étaient réalisés tandis que nous partions avec la bande nous rouler dans les foins ou la neige, sauter des poutres d’un hangar sur les ballots de paille, explorer les bois ou chercher dans les champs les traces laissées par les deux guerres. Nous en rapportions des culots d’obus, et des billes de plomb meurtrières qui venaient grossir ma collection de billes. J’y appris que la manne n’est pas que dans la mer. Ils m’enseignèrent à distinguer les baies comestibles des plantes à éviter, et nous nous gavions de cerises, prunes, fraises, cassis, framboises, groseilles à maquereaux chapardées où sauvages. A tirer à la fronde avec les billes de plombs, les pigeons, vanneaux et lièvres. A voler à la vache un lait que ma mère ne nous eut laisser boire sans le faire bouillir. A s’accrocher à la micheline pour éviter une longue marche à pied et en sauter sans mal. De leurs côté mes parents nous apprirent à glaner (passer derrière le tracteur et récolter les restes de l’exploitant) dans les angles des champs de petits pois, haricots et mais. A cueillir et déguster les champignons, récolter le tilleul pour le faire sécher et tout un tas de chose que je crains d’avoir oublié.Parfois, lorsque le besoin s’en fait sentir, elles me reviennent et je me dis : ça, c’étaient des vacances.


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