Rue du Faubourg Saint-Denis : Du troisième au sixième
Fort de la précédente expérience et sous la pression revendicatrice des filles, on jouât aux chaises musicales. Le coin des filles devint la chambre de mes parents, la leur, un petit coin salon et mon père installa son bureau dans l’ancienne « petite chambre ». Mes sœurs s’accaparaient notre troisième tandis que nous émigrions au sixième étage du même immeuble.
Nous perdions au change, question surface habitable. Le sixième correspondant en tous points à l’appellation « Chambre de bonne » puisque nous n’y avions qu’une seule pièce, d’environ 12 mètres carrée, et mansardée sur les deux côtés qui encadraient la fenêtre donnant sur une mer de toits de zincs et leurs premières antennes.
Comme nous étions pratiques, nous avions implicitement coupé la chambre en deux parties, une chacun. Comme mon frère ne savait pas me résister, j’occupait la plus grande, à savoir celle qui ne donnait pas sur la porte palière. Nous avions placés les lits dans le prolongement de la mansarde de façon que la hauteur du plafond ne gène que nos doigts de pieds. Entre les deux zones, trônait un gros radiateur à bain d’huile monté sur roulettes, de ceux qui ne commencent à réchauffer la pièce qu’au moment de l’éteindre. A l’époque cela n’avait guère d’importance. Le dernier mur était occupé par une grande armoire penderie et un vieux coffre fort d’acier dont personne ne connaissait plus la combinaison ni n’avait la clef. Il renfermaient des trésors confié à notre garde que viendrait réclamer une frêle et douce princesse en secret. Dans la réalité, les anciens locataires avaient eu la flemme de se taper les six étages avec ce truc au poids de voleur.
Ce que nous avions perdu en espace, nous le gagnions en liberté. A six étages sans ascenseurs, les inspections surprises étaient moins fréquentes et étant au dernier, les rapports de bons voisinages plus rares. Mon frère me fit donc découvrir d’autres plaisirs, je veux parler de l’alcool. En effet, nous avions découvert que la petite niche murale aménagée en bibliothèque de ma zone recelait un accès, lorsque l’on en démontait le côté gauche, à un vide entre le mur et le zinc. Cet espace permettait de loger une bouteille en largeur et une bonne dizaine en longueur, il fallait toutefois faire attention à ne pas les faires glisser car sinon elles partaient boucher la gouttière.
Nous avons donc commencer à nous aménager un petit bar plutôt hétéroclite, composé de liqueurs et de digestifs autant que d’apéritifs, dans un flaconnage de toutes tailles, de la mignonette au litre. Le critère principal d’entrée dans notre cave étant que la somme à débourser devait correspondre à notre pécule hebdomadaire, une fois décompté le prix de mon Pif gadget et de ses revues musicales. L’autre critère correspondant à ce que l’on peut chaparder en tout impunité dans le laboratoire d’une charcuterie (généralement du Porto ).
La hantise de mon frère était de se faire surprendre lors de l’évacuation des cadavres.