mercredi, janvier 23, 2008

Rue du Faubourg Saint Denis : Du premier au troisième.

Je crois avoir déjà évoqué mes multiples déménagements et changements d’étages, mais je ne suis pas sûr d’en avoir donné les raisons.
Mes parents tenaient donc une charcuterie dans l’un des quartiers les plus commerçants de l’époque : Le faubourg Saint-Denis à Paris. Lorsque l’on disait « Le Faubourg », on faisait référence à une atmosphère dans laquelle se côtoyait une foule hétéroclite qui provenait selon les heures des trottoirs de la rue du même nom, des grandes Halles, des théâtreux boulevards, des ateliers du marais comme des deux gares.
Ils habitaient juste au dessus de l’échoppe, un appartement tout en longueur. On y pénétrait directement dans la cuisine qui donnait à droite sur une petite salle de bain et dans son prolongement les WC et à gauche sur la « petite » chambre de mes parents. Lorsqu’on la traversait, on atteignait la « grande » chambre où un muret bas séparait le coin des filles de celui des garçons.
Tant que nous étions jeunes, nous ne nous posions pas trop de questions sur le fait d’y vivre à six, mais en grandissant nous découvrions les désagréments de la promiscuité.
Heureusement ? la majorité de l’immeuble comme beaucoup de ceux du quartier, était composé de « chambre de bonne », ce que l’on appelle maintenant crânement des studios. Mes parents en louaient plusieurs pour leur personnel, dont l’une au troisième étage et l’autre au sixième. Lorsqu’il advint que Maryse, la vendeuse d’alors, partie non loin de là, établir son propre foyer(de l’autre côté de la cour), mes parents proposèrent aux ainés d’occuper le troisième.
Par mesure de sécurité, la kichnette fut vidée de tout élément culinaire et devint une simple salle d’eau où ne se trouvait qu’un large évier. Nos lits jumeaux, une armoire-penderie et deux chaises formaient avec une table pliante tout notre mobilier.
Nous apprîmes assez vite que toute liberté a un prix.
Si nous avions la chance de régner en maître au sein de notre petit appartement, nous en avions aussi les désavantages. Il n’y avait pas moyens d’échapper aux tâches ménagères. Nous nous y étions essayé au tout début, avant les épisodiques et apériodiques inspections surprises. Notre mère avait l’art de venir toquer à notre porte au mauvais moment, toujours au lendemain d’une mémorable bataille de polochon, après la construction d’un tipi de couverture et de manche à balai ou de tout autre événement susceptible de mettre sans dessus dessous notre chambrée. Elle promenait alors un œil furieux sous un sourcil interrogateur sur le champs de bataille avant de lâcher un froid « Je repasserai demain. ». L’autorité parentale avait à l’époque une toute autre valeur. Il n’était besoin de faire usage de violence pour nous faire comprendre où se trouvait notre intérêt. Le sujet n’était jamais abordé, mais, il était implicite que notre appartement se devrait le lendemain d’être parfaitement rangé et correspondre en tous points aux critères de propreté maternels. Il lui importait peu que les murs soient couverts des posters de motos de Jean-Michel, que mes plantations de mais et de tournesols dans un vieux bac de frigidaire orne la fenêtre, que mes livres soient empilés sous le sommier ou que nos hamsters et notre tortue se promènent en totale liberté. Seuls importaient l’ordre et la poussière. Elle promenait ses mains sur les plinthes et le dessus des meubles, poussait les livres à la recherche des moutons. Elle ne disait jamais rien de nos excentricités enfantines, juste en cas d’insatisfaction un « Je repasserai demain. ». Nous savions qu’à chaque passage, ses critères seraient plus élevés. La leçon était bonne car nous nous efforcions en permanence d’échapper à cet œil inquisiteur en entretenant régulièrement à titre préventif la salubrité des lieux. Tous les quinze jours, nous descendions notre linge sale et nos draps.
Entre deux inspections, nous nous en donnions à cœur joie, musique à fond (mais pas trop car la voisine rapportait tout aux parents), veillé jusqu’à plus d’heure et tout un tas de chose dont je ne me souviens même plus.
Le seul inconvénient de notre petit logement, c’était l’absence de toilettes. Nous n’avions à notre disposition qu’un trou à la turc dans un petit placard sis entre le cinquième et le sixième étage ou le retour au foyer du premier. Pour les petites commissions, nous n’osions l’avouer , une chaise permettait d’atteindre l’évier de plus haut.
La hantise de mon frère, de quatre ans mon ainé et qui devait assumer la responsabilité de mon éducation, c’était que je ne passe par la fenêtre lorsque nous l’ouvrions le soir tard pour évacuer la fumée de nos cigarettes, où que je n’en fasse repérer le bout incandescent à quiconque se laverait au premier étage de l’immeuble : De la fenêtre de la salle de bain on avait une vue sur le profil de celle du troisième.


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