mardi, juillet 10, 2007

Portrait à musée

Les Mots (de Bernard Joyet)

A l’encre blanche dans ma nuit
Une page noire s’allume
Les mots se glissent sous la plume
Qui langoureusement les suit

De l’arbre blessé suintant
Perlent des globules de sève
Aux commissures de mes rêves
Les mots sont des gouttes de temps

Des sirènes des lamantins
Traînent leurs lignes en mots troubles
J’entends le passé simple double
Et le futur plus-que-certain


Les mots enfantent les idées
Comme l’eau invente la source
Ils sont la monnaie de la bourse
Le guide premier de cordée

Les mots s’écrivent ou se crient
Du chant primal à l’épitaphe
Ils friment dans leur orthographe
Rutilante carrosserie

En suspension dans l’essentiel
Les mots exhalent leur essence
Ils encensent mon innocence
Aux éthers de miel ou de fiel


Impatient et prêt à bondir
Bravement sur la barricade
En guise d’armes camarades
Je n’ai que des mots à brandir

Les mots font écrouler les murs
Sitôt qu’ils caressent la pierre
Fustigent grilles et frontières
Meurent sucés par la censure

Par les racines périmées
Le fil de l’oubli se faufile
C’est l’hémorragie les mots filent
Du vaisseau fantôme abîmé


Bradés les bijoux les émaux
Et claquées les dernières thunes
Je sourirai à la fortune
Tant qu’il me restera des mots

Mots d’esprit mots-clefs grands ou gros
D’enfant de passe de Cambrone
Mots qu’on mâche mot qu’on se donne
Le mot de la fin le fin mot

Bradés les bijoux les émaux
Et claquées les dernières thunes
Je sourirai à la fortune
Tant qu’il me restera des mots


eXTReMe Tracker