Polémique sur le chômage
Les gouvernements font de la baisse du chômage un point central de leur communication politique. Ils organisent une mise en scène spectaculaire à chaque annonce de baisse, les ministres se bousculant pour annoncer le « bon » chiffre. Pour obtenir ces résultats, on sait que l’ANPE a modifié ses méthodes de gestion (radiations, déplacements vers des catégories non comptabilisées dans le chiffre mensuel). Lors de la création du CNE, des pressions politiques pour sortir des chiffres favorables ont également été dénoncées par l’intersyndicale des statisticiens.
Dans ce contexte, toute note discordante prend immédiatement une dimension d’affaire d’État. Or, lors de la conférence de presse sur le Recensement le 16 janvier, la direction de l’Insee a annoncé le report à l’automne, donc après les élections, de la publication des chiffres du « chômage au sens du BIT » recalés à partir de l’Enquête Emploi en Continu (EEC). C’est une première.
La presse a immédiatement réagi (article des Echos, puis du Canard Enchaîné, du Monde, etc.) en mettant en cause des pressions politiques qui amèneraient la direction de l’Insee à « cacher la réalité du chômage ».
Lors de cette conférence du 16 janvier, la direction de l’Insee a justifié ce report par la baisse du taux de réponse de l’EEC (sans fournir les taux des dernières années). Cette baisse rendrait les résultats moins fiables. Mais elle n’a pas donné plus de précisions sur les problèmes rencontrés, ni bien sûr sur le chiffre de chômage qui ressort de l’enquête, et qui effraie tant la direction et le gouvernement. Pas étonnant que statisticiens puis journalistes se soient interrogés sur ce chiffre caché.
Certes, les agents des divisions enquêtes ménages dans les directions régionales, les enquêteurs et les statisticiens du travail connaissent de longue date les problèmes spécifiques à cette enquête (6 interrogations successives des habitants d’un même logement, dont 4 par téléphone) qui rendent difficile sa réalisation. Mais, d’une part, ces problèmes sont repérés depuis des mois voire des années. D’autre part, des difficultés semblables se rencontrent dans d’autres enquêtes.
Or la direction de l’Insee n’avait, jusqu’à présent, pas laissé percevoir de préoccupations suffisantes pour empêcher la publication d’un résultat. Alors pourquoi en est-on là ?
Nous avons demandé des explications à la direction de l’Insee. Elle nous a donné plusieurs réponses sur la méthodologie de l’enquête :
- A cause des « biais de rotation » (il n’y a pas équivalence entre chaque vague d’interrogation), l’EEC est fortement impactée par une baisse des taux de réponse. Les non-répondants seraient plus probablement des personnes en situation d’emploi, biaisant les résultats de l’enquête ;
- La série des chiffres du chômage au sens du BIT ainsi recalée aurait des évolutions erratiques et donc difficilement interprétables;
- Les résultats de la collecte 2007 du recensement, disponibles à l’automne, pourront être confrontés à ceux de l’EEC et sécuriser l’interprétation de la situation globale sur le chômage tout au long de 2006 ;
- Une enquête qualité a été lancée dans toutes les DR en janvier, qui a pour objectif d’analyser les non-répondants. Mais ses premiers résultats ne seront pas disponibles avant l’été.
La direction nous a également annoncé une information au Conseil National de l’Information Statistique lors de la formation « Emploi – Revenus » le 8 mars. Cette information consistera principalement en des « éléments d’appréciations sur l’impact des mesures de gestion de l’ANPE », et des éléments d’appréciation sur l’EEC. Nous prenons acte de cet engagement.
Mais nous attendons surtout de la direction de l’Insee une information complète et transparente. Aucune preuve ne nous permet de dire, comme on a pu le lire dans la presse, qu’il y a eu collusion avec le Ministère des Finances sur ce sujet sensible. Cependant il nous paraît évident que même en présence d’une baisse des taux de réponses, si les calculs avaient laissé entrevoir une révision du taux de chômage BIT du même ordre que celui des années précédentes (0,1 point) le report n’aurait pas eu lieu : le chiffre aurait été publié. C’est bien sans doute que la révision, très probablement à la hausse, est plus importante. Pour ne pas laisser le doute s’installer la direction doit répondre à ces questions :
- Pourquoi les résultats de l’EEC sont-ils remis en cause et pas les chiffres de l’ANPE ? Ceux-ci sont issus d’un fichier administratif et sont bien plus sensibles aux changements dans la gestion des chômeurs, notamment ceux intervenus depuis novembre 2005 : sortie des catégories usuellement mesurées de chômeurs bénéficiant de conventions de reclassement, d’emplois aidés, des créateurs d’entreprises ; et surtout raccourcissement des délais donnés aux chômeurs pour l’actualisation de leur situation tous les mois ;
- Si la baisse des taux de réponse à l’EEC empêche aujourd’hui de calculer le taux de chômage, elle était connue depuis plus de 6 mois : pourquoi avoir attendu avant de lancer une enquête-qualité ?
- Quels moyens urgents la direction de l’Insee compte-t-elle mettre en oeuvre pour consolider le dispositif qu’elle juge aujourd’hui fragile ?
- Quels projets envisage-t-elle à moyen terme pour apporter enfin une information crédible et complète sur les personnes occupant des emplois précaires et sur les situations entre emploi et chômage, ce qui constitue le « halo du chômage » ?
- Rappelons enfin que, dans le passé, une telle suspicion sur les résultats de l’enquête Emploi n’a jamais conduit à retarder leur diffusion, alors qu’on a déjà connu des divergences importantes entre le chômage BIT et les chiffres de l’ANPE (souvent provoqués par les changements de gestion des chômeurs par l’Agence).
L’Insee doit alimenter le débat social dans la transparence
- Actuellement tous les agents de l’Insee, en particulier qui ont appris la polémique par presse interposée doivent avoir une explication. C’est le cas en particulier de ceux qui travaillent sur l’EEC, dont toute mise en cause de leur travail serait inadmissible (y compris les enquêteurs).
- Il est vrai que l’Insee, contraint de mettre en place cette enquête par règlement Européen avait émis des réserves alors, réitérées depuis, sur la méthode utilisée. Mais l’enquête emploi (annuelle ou en continu) est un instrument indispensable pour la connaissance de la société française, car elle explore de façon détaillée le monde de l’emploi, et parce qu’elle est la seule source permettant de calculer le chômage au sens du BIT, et donc d’effectuer des comparaisons internationales. Nous attendons de la direction qu’elle prenne les mesures pour assurer la qualité et la pérennité de cette enquête ;
- Les problèmes rencontrés sur l’EEC doivent être explicités et soumis aux experts, aux statisticiens du travail, y compris à l’extérieur de l’Insee (Dares, Eurostat, etc.). L’Insee doit engager une expertise, ouverte à ces organismes afin de proposer les changements nécessaires pour restaurer une enquête emploi fiable ;
- La population a droit à la vérité. La crédibilité de l’Insee est à ce prix. La direction de l’Insee doit donc présenter l’état actuel des problèmes de méthodologie rencontrés : elle s’est engagée à présenter de tels éléments lors de la formation du Conseil National de l’Information Statistique le 8 mars : elle devra les rendre publics. Elle doit aussi publier les résultats de l’EEC, même sous forme de fourchette assortie de précautions. Elle devra expliciter les arbitrages qui amènent à reporter à l’automne le calcul du chiffre définitif.
En tout état de cause, dans cette période de débat électoral, les éléments d’appréciation de la situation sur un sujet aussi important que le chômage, doivent être fournis aux citoyens pour qu’ils puissent exercer leur propre jugement.
Rappel : Quelles sources et quels chiffres pour le chômage ?
-Chômage selon le Bureau International du Travail (BIT) ; ce sont des chômeurs qui sont simultanément : sans travail , disponibles et à la recherche d’un emploi. L’Insee est chargé de son évaluation mensuelle. Il calcule ce taux de chômage une fois par an grâce à l’EEC (le « calage » du mois de mars et ensuite produit une ) estimation mensuelle grâce aux chiffres de l’ANPE ;
-Demandeurs d’Emploi en Fin de Mois (DEFM) : comptage réalisé par l’ANPE d’après la source de gestion. Cette source ne permet pas de connaîre le chômage BIT ; t
-L’Enquête Emploi en Continu (EEC) est réalisée tou au long de l’année par l’Insee : t elle seule contient les questions permettan t de connaîre les chômeurs « au sens du t BIT » ;
-Le Recensement permet lui aussi de comptabiliser les personnes se déclarant au chômage.
Extrait d'un tract inter-syndical.