Bleue
Comme Claudine me faisait remarquer que les vieux Solex revenaient à la mode, et que je lui avouais en avoir possédé un noir assez lourd auquel j'avais préféré une fine et légère 102 bleue de Motobécane. J'ai réalisé qu'elle ignorait ou plutôt avait totalement oubliée que l'une d'elle avait partagée ma vie. Bien sur, c'était bien avant de la connaitre, dans les années soixante dix.
Tout comme vers douze ans, j'avais récupéré le Solex de mon frère, vers quatorze, sa bleue devenait mienne tandis qu’il passait à plus grosse cylindrée.
Or, après le Solex, lourd, lent et si peu maniable, la bleue semblait d’autant plus légère et maniable. Elle me permettait d’écumer la région autour de notre maison de campagne. Je pouvais frimer à 50 à l’heure et sans casque. Il n’était pas encore obligatoire.
C’est d’ailleurs avec elle que j’ai eu un bel accident dont je ne suis pas très fier et dont je ne me suis jamais trop vanté de peur de voir disparaître le privilège de son usage. C’était un jour où j’étais fort pressé. J’avais à l’époque la permission de disparaître comme je le voulais tant que j’étais présent à l’heure des repas. Midi et sept heures étaient des barrières non négociable. Quelque soit la distance où je me trouvais, il me fallait faire le trajet avant les heures fatidiques. Ce jour là donc, j’étais du côté de Rosière en Santerre et comme le retour au bercail risquait d’être limite, je n’ai rien trouvé de mieux que de rentrer en empruntant le chemin le plus court qui soit : la voie de chemin de fer.
Bien sur cela tressautait à chaque poutre mais bien campé entre les deux rails, je faisait presque du cinquante en ligne bien droite. Malheureusement, à l’époque la SNCF était beaucoup plus ponctuelle et ce qui devait arriver à l’heure en gare arriva : Venant face à moi, une antique micheline rouge venant de Chaulnes. Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de sauter par dessus les rails avec une 102 en roulant à cinquante à l’heure mais ce n’est pas possible. Je n’arrivais pas à tourner la roue avant suffisamment pour enjanter la rail.
Je me suis donc cassé la figure dans tous les sens du terme, me retrouvant coincé sous le guidon avant de la mobylette(heureusement, à l’époque, je n’étais pas bien gros et le guidon de la 102 offrait un petit espace. Je saignais pas mal mais n’avait rien de cassé. Tous ceux qui ont ou ont eu une 102 vous le diront, rien n’est plus solide. Comme je suis sujet aux varices nasales, j’avais toujours sur moi du coton anticoagulant, j’ai donc pu me nettoyer et rentrer en retard le plus discrètement possible. Papie et Mamie étant tellement habitués à me voir en sang, ils n’ont pas étés étonnés et je ne m’en suis pas vanté.
Après le mortel accident de moto de mon frère, le cœur n’y était plus. Il me semble que je ne suis plus jamais remonté sur un engin à moteur n’ayant que deux roues depuis.