jeudi, juin 15, 2006

Sculpture de tickets


Sculpture de tickets
Originally uploaded by petit mouvement.
Hé oui ! Ca y est ! J’ai trouvé au fond de ma malle un objet à l’âme inaltérable qui pelte mes souvenirs en profondeur. Ce petit rectangle oblitéré d’un jaune pisseux qui a son époque symbolisait la France, les voyages et le rayonnant Paris. J’ai conservé ce souvenir du passage de la désuétude à la modernité.
Qui depuis la mort de l’homme à feuille de chou se souvient encore du poinçonneur sous son dôme de faïence blanche ? Des banquettes de bois ajourées et des verrous métalliques que l’on rabat ? Du grondement des roues et des portes automatiques qui se fermaient à l’entrée en gare ?
Il n’y avait pas à l’époque de tags laissés en souvenir d’un passage, mais des odeurs d’urines mêlées aux relents de vases surtout sous l’Opéra. C’était bien avant la réouverture du château d’eau.
On passait alors du travail manuel au début des automatismes. La bande marron au milieu du bristol mat laissait deviner l’apparition des premiers lecteurs et leur portillon. Déjà, les postillons ne criaient plus à la fermeture des portes.
La publicité était partout, au-dedans comme au dehors, rappelant que ce petit morceau de carton ramènerait toujours le Parisien chez lui.
Et moi, en bon Titi, j’ai toujours eu ce passeport dans mon « lardfeuille » même lorsque je n’éprouvais plus le plaisir d’enfant de les « plier ».
Ah ! Plier le ticket, c’est à cela que l’on reconnaissait les mômes qui arpentaient le métro. Il fallait en connaître la forme des couloirs pour voyager gratis en remontant les files de voyageurs, en faisant « la nique » au poinçonneur. Les petits rats que nous étions avait j’imagine pour la Régie Autonome des Transports Parisiens leur utilité. Nous ramassions tous les laisser-passer abandonnés hors des poubelles pour constituer par de savants pliages des sortes de scoubidous. Le pliage en lui-même était simple à réaliser : Il suffisait de mettre deux tickets en quinconces et de rabattre les bords de celui du dessous, et de continuer ainsi. On finissait l’ensemble en rabattant les quatre morceaux l’un sur l’autre comme pour clore un carton. Il nous fallait alterner artistiquement les trois couleurs de milliers de tickets pour fabriquer ces symboles de notre capacité artistique et physique de « faire la nique ». Pourquoi trois couleurs me direz vous ? Il ne faut pas oublier qu’à l’époque les « demi-tarifs » étaient striés de rouge. Bien évidemment aucun de nous n’avait jamais vu de première classe. Nous avions donc au fond des poches une « matraque » à dominante jaune, sériée de quatre bandes marron et de carrés ou de lignes rouges. J’ai longtemps gardé quelques centimètres de la mienne avant de les égarés.
Maintenant lorsqu’il m’arrive de parcourir les couloirs du métro, c’est uniquement pour l’alternance boulot-dodo. Mais il m’arrive parfois au détour d’un de ces couloirs qui n’ont pas changé, ou en haut de ces escaliers immuables de ramasser l’un de ces fuschia petits cartons et de le « plier ».

P.S.:J'en suis tout boulversé. En cherchant une photo pour illustrer ce post que je viens d'écrire, je tombe sur celle-ci. Les couleurs ne sont pas les mêmes que celles de mon époque, on n'y joue pas avec l'alternance des deux faces, mais c'est tout à fait cela. Et lorsque j'en lit le commentaire de l'auteur : "Trois générations", je me sens encore plus vieux puisqu'appartenant à une quatrième.


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