mercredi, juillet 19, 2006

Oléron

Puisqu’il me faut patienter jusqu’en septembre pour partir en vacances, autant ressasser les souvenirs que j’en ai gardé.
Les plus anciens sont aussi les plus lointains. Il ne m’en reste que quelques souvenirs épars et décousus. Je n’ai gardé de l’Espagne que le souvenir des méduses, de l’allergie et la fascination exercée par des particularités locales comme la pêche à la pieuvre et le nanisme des bananes.
Par contre, je me rappelle très bien les expéditions qui suivirent, lorsque mes parents embarquaient leurs quatre marmots pour la gare d’Austerlitz ( gare parisienne qui dessert le sud-ouest de la France). Ils y avaient réservé un wagon complet afin d’y loger leur marmaille pour la nuit du grand départ. A l’époque, les wagons de seconde ne disposaient que de quatre couchettes pour six places assises et mon ingénieux père suspendait entre les deux du haut, accrochés aux sangles, deux petits hamacs pour mes jeunes sœurs encore bébés. Ils pouvaient ainsi les surveiller à loisir depuis le premier étage de leur couchette. Je n’avais pas la sagesse de mon aîné qui à peine installé dans les draps de la SNCF s’endormait dès les premiers roulis.
Mon instabilité était récompensée par des carnets de coloriage et des bandes dessinées sensées me maintenir sous la faible veilleuse. Mais l’attrait du couloir allié à l’excitation déclenchait en moi des cystites psychosomatiques. Je passais donc la première partie de la soirée à surveiller notre progression sur la carte de France accolée à la porte des toilettes. Il faut dire que le vent et les trépidations alimentaient mon pire cauchemar, ma plus grosse crainte : Tomber par l’énorme trou des WC directement entre les rails et voir s’éloigner de moi tous espoirs de vacances.
Orléans, Saint-Pierre des corps, Tours et enfin Poitiers. Il ne s’agissait pas là de notre destination finale, mais de la limite des mes forces en matière de nuit blanche. Je m’endormais alors la tête prés de la fenêtre pour pouvoir surveiller les arrêts et changements de locomotive à la Rochelle et Rochefort, mes prochains réveils. Je profitais ainsi de sa fraîcheur relative dans le wagon surchauffé.
Arrivés à Marennes, c’était le branle bas de combat. Il nous fallait dans l’aube naissante, alors que nos paupières ne tenaient que par des allumettes, retrouver qui une chaussette, un T-shirt, qui un biberon ou des couches, nos sacs, nos livres et carnets et le capuchon du dernier feutre utilisé, celui qui en général avait colorié mon maillot de corps et les draps de la SNCF lorsque je m’étais enfin endormi. J’étais en général le plus amorphe du lot. Ne pas se tromper de car pour le bac puis de car pour la « La Brée », à la pointe de l’Ile d’Oléron.
Là, c’était le paradis. Enfin, presque.
Il nous fallait d’abord, avant de goûter aux joies de la plage, veiller à l’intendance. Avant même de faire les courses au Spar du bourg ou de discuter sur le marché le prix des soles, il nous fallait approvisionner la glacière. C’est en disant cela que l’on se rend compte de son âge et du côté pratique de la technologie. Les réfrigérateurs « Frigidaire » n’étaient pas encore dans tous les foyers et l’on devait acheter au bar des pains de glace qui maintiendraient la température intérieure de la glacière dans des limites acceptables. La glacière faisait partie intégrante du meuble de la cuisine et fonctionnait à l’huile de coude, au pic et bac à glace. Pour un petit parisien habitué à la chambre froide du commerce familiale, cela ressemblait déjà à un début d’aventure.
Mes parents prenaient la précaution deux jours avant le départ d’envoyer une grosse cantine métallique qui nous attendait à notre arrivé à la location estivale. Il s’agissait d’un grand trois pièces donnant sur une petite cour, deux chambres et une pièce commune. Les toilettes et la douche extérieure étaient mis à disposition des trois ou quatre autres locations.
Une fois passées les trois heures, après la sieste digestive obligatoire, nous étions tous les quatre badigeonnés de la crème protectrice hydratante « Nivéa » par laquelle jure encore ma mère aujourd’hui. Puis, tous chapeauté d’un bob clair, nous partions à la plage ou notre location des « flots bleus » incluait une cabine abritant tout notre matériel : le parasol, les deux sièges pliants des parents et nos accessoires de pêche.
En effet, dans notre petit paradis, la manne venait de la mer. C’est avec beaucoup de sérieux , plus ou moins de chance et de plaisir que nous rapportions chaque soir de quoi agrémenter nos repas. Je vous imagine souriant à ce que vous prenez pour un jeu d’enfant. Mais, ce n’était pas le cas. Le pont alors n’existait pas et la nature plus sauvage était prodigue. Parfois un bar se laissait surprendre par la marée dans une poche d’eau ou quelques solettes se laissaient harponner entre les deux yeux. Mais pour l’essentiel, nous rapportions des crabes et crustacés.
Le harpon à sole n’était destiné qu’a mon père qui craignait que nous ne visions un pied plutôt qu’un de ces poissons reconnaissables au frisottis de sa trace dans le sable et à ses deux yeux. La mer était limpide alors.
Ma mère était une spécialiste des couteaux, coques et palourdes. Elle avait le chic pour distinguer les deux petits trous d’aération de ces coquillages enfouis avant de gratter le sable à l’aide de son petit crochet à trois dents.
Mon frère et moi avions la rude tâche de retourner toutes les pierres en quête des crabes, tourteaux ou étrilles et d’y prélever les chapeaux(bernacles), les bigorneaux, bulots et ormeaux. Nous étions dotés d’un ustensile ressemblant à un long couteau non tranchant qui nous permettait de faire levier tout en évitant les pinces impressionnantes des tourteaux. Je laissais en principe ceux-ci à mon frère dont j’admirais la technique et le courage. Quelle fierté lorsque nous pouvions rapporter à notre mère un de ces oursins sauvages dont elle se faisait un régal ou lorsque nous débusquions une anguille vive !
Bien sur, je n’aurais jamais mis les pieds dans ces viviers de bêtes piquantes, coupantes ou pinçantes si je n’avait eu au pieds une paire de « caoutchouc » bleus et blancs qui nous garantissait contre tous ces désagréments.
Lorsque la marée était haute et nous empêchait de récolter nos fruits de mer, ma mère s’installait sur son pliant, aiguilles à tricoter en main (ou crochet selon son gôut), mes sœurs promenaient au bord de petits filets à crevettes et les « hommes » allaient affronter des vagues plus hautes qu’eux, cherchant à plonger, dessus, dessous avec force éclaboussures.
Dès qu’il était l’heure de rentrer, nous comptabilisions et trions notre récolte. Telles étrilles seraient remises à l’eau afin d’y finir leur croissance, d’autres finiraient dans la soupe de poisson. Les plus petits des poissons finiraient en une friture où nous mangions même les arêtes rendues craquantes et croquantes et les plus gros dans la soupe avec les bernacles, couteaux et les crevettes les plus petites. Les tourteaux seraient ébouillantés, les moules, les bivalves coques et palourdes, bigorneaux et bulots cuits à la vapeur quand ils n’étaient pas gobés crus comme les huîtres et oursins. J’avais et j’ai toujours un faible pour les palourdes crues.Bon c’est assez pour aujourd’hui.


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