vendredi, mars 24, 2006

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Après avoir retranscrit ma dictée d’hier au soir, j’ai réalisé que même dans mes galères les plus profondes, j’avais su me satisfaire de l’endroit où je vivais. J’en acceptais les inconvenants et profitais des avantages. Pourtant, dans ma vie, j’ai eu l’occasion de poser mes bagages en plein d’endroits. Je me souviens d’ailleurs de l’enquête de moralité nécessaire à mon entrée dans les transmissions lors de mon service militaire dont le questionnaire s’avérait trop petit pour y faire entrer toutes les adresses occupées lors des cinq dernières années.
Il faut vous dire que dès notre plus jeune âge, notre fratrie était habituée à une certaine mobilité dans nos lieux de vie. Le logement familial situé au-dessus du magasin à Paris était trop exigu pour y accueillir mes parents et leurs quatre enfants, c’est une des raisons pour laquelle j’ai passé ma prime enfance en nourrice à Courlon sur Yonne.
Après mes six ans et la naissance de Nadine, ma dernière sœur, la famille se resserra et nous occupâmes mon frère et moi une petite chambre de bonne au troisième étage de l’immeuble où se trouvait l’appartement familial.
Lorsque j’en eus dix, les garçons cédèrent la place aux filles. Nous migrâmes au sixième étage. A l’époque, l’amplitude horaire du magasin ne nous permettant pas de veiller tard après sa fermeture, nous prenions nos repas en même temps que les employés et le magasin fermé nous devions à tour de rôle par âge croissant montrer nos devoirs et réciter nos leçon à notre père tandis que ma mère inspectait le derrière de nos oreilles et frottait nos poignets à la recherche de sa hantise, la « crasse ». Hormis le mercredi soir où nous nous tassions tous les six, face au poste de télévision, sur le lit de mes parents ou couchés sur le tapis dans l’attente des exploits de Josse Randall, la soirée s’achevait officiellement sur un baiser avant que nous ne sortions pour nous coucher. Nous avions alors quartier libre et le loisir de veiller aussi tard que nous le souhaitions. Nous apprîmes assez vite que toute liberté a un prix car nous devions impérativement être présents au petit déjeuner commun avant l’ouverture du magasin. Si nous avions la chance de régner en maître au sein de nos petits appartements respectifs, nous en avions aussi les désavantages. Il n’y avait pas moyens d’échapper aux tâches ménagères. Nous nous y étions essayé au tout début, avant les épisodiques et apériodiques inspections surprises. Notre mère avait l’art de venir toquer à notre porte au mauvais moment, toujours au lendemain d’une mémorable bataille de polochon ou de tout autre événement susceptible de mettre sans dessus dessous notre chambrée. Elle promenait alors un œil furieux sous un sourcil interrogateur sur le champs de bataille avant de lâcher un froid « Je repasserai demain. ». L’autorité parentale avait à l’époque une toute autre valeur. Il n’était besoin de faire usage de violence pour nous faire comprendre où se trouvait notre intérêt. Le sujet n’était jamais abordé, mais il était implicite que notre appartement se devrait le lendemain d’être parfaitement rangé et correspondre en tous points aux critères de propreté maternels. Il lui importait peu que mon bureau blanc se retrouve bleu nuit, orné d’étoiles, les murs couverts de posters, les plantations de mais et de tournesols dans le bac du frigidaire, les livres empilés sous le sommier ou que nos hamsters et notre tortue se promènent en totale liberté. Seuls importaient l’ordre et la poussière. Elle promenait ses mains sur les plynthes et le dessus des meubles, poussait les livres à la recherche des moutons, les sanitaires devaient briller et les vitres luirent. Elle ne disait jamais rien de nos excentricités enfantines, juste en cas d’insatisfaction un « Je repasserai demain. ». Nous savions qu’à chaque passage ses critères seraient plus élevés. La leçon était bonne car nous nous efforcions en permanence d’échapper à cet œil inquisiteur en entretenant régulièrement à titre préventif la salubrité des lieux. Tous les quinze jours en alternance avec nos sœurs, nous descendions notre linge sale et nos draps.
Lorsque mon frère eu seize ans, il s’en alla rejoindre un studio avec kichenette dans l’immeuble voisin qui m’offrit comme lui plus d’indépendance encore.
Lorsque j’eu son âge, à son décès, je pris possession des lieux tandis que mes parents partaient soigner leur blessure dans la petite maison de campagne qu’il retapaient dans la Somme et que mes sœur entraient en pension à Joinville-le-pont sur la Marne. Je les y recueillais en fin de semaine avant la visite dominicale que nous leurs rendions.
A dix neuf ans, tout juste majeur, j’intégrais leur demeure car ils avaient mis un frein à ma vie de patachon en me coupant brutalement les vivres. Six mois plus tard, en raison de la promiscuité à laquelle nous n’étions ni les uns ni les autres habituée, nous emménagions à quelques kilomètres dans une maison plus vaste. Peu de temps après, tandis que je m’installais à Amiens, à une quarantaine de kilomètres dans un petit studio, ils partaient en emmenant mes sœurs au soleil de l’île d’Oléron.
Financièrement indépendant, je changeais assez souvent d’adresse, au gré de mes conquêtes à tel point qu’il vint un moment ou suite à une rupture assez rapide, je me retrouvais sans domicile. Je squattais alors mon bureau pour la nuit et les douches de la piscine municipale pour les ablutions.
Je ne sais si cette période m’a assagie, mais depuis lors j’ai appris à recevoir chez moi plutôt que de transporter ma trousse de toilette chez ces dames et ce n’est que deux mois avant mon mariage que je consentit à laisser tomber mon appartement.


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