chut!
La trace d’un ange
Je ne me rappelle plus la taille exacte de ces anges que l’on s’ingéniait à vouloir faire tenir debout sur la tête d’une épingle mais l’on comprendra que des êtres aussi petits ne puissent laisser que des traces infinitésimales.
N’allez pas croire qu’avec un titre pareil, je vais vous parler de la biographie de Marco Siffredi par Antoine Chandellier, ou du si romantique roman de Nancy Huston. La trace dont il est question est plus précisément l’empreinte du doigt. L'empreinte de l'ange est une expression qui désigne la partie creuse située au-dessus de la lèvre supérieure. L’usage voulant que juste avant sa naissance, un nouveau-né reçoive la visite d’un ange qui posant son doigt sur la bouche du bébé, lui demande de faire silence sur ce qu’il sait déjà afin de venir au monde en toute innocence.
Il faut reconnaître qu’au bout des 95 minutes de ce film, Safy Nebbou vous rend capable de les voir ces traces de doigts. Vous vous souvenez surement de Safy Nebbou, on lui doit le merveilleux « Le cou de la girafe », une sorte de road movie dans lequel une petite fille( Louisa Pili ) voyage dans le passé de son grand-père( Claude Rich ) à la recherche de sa grand-mère mais surtout d’une explication de ses rapports avec sa fille ( Sandrine Bonnaire ). On attendait donc sa seconde réalisation, dans l’espoir d’y retrouver la même délicatesse dans le traitement des relations familiales compliquées et c’est plus qu’une réussite.
L'Empreinte de l'ange c'est l'histoire d'Elsa Valentin (Catherine Frot) une femme qui semble tout ce qu’il y a d’ordinaire mais dont la vie semble basculer lorsqu’ en allant chercher son fils Thomas à une fête, elle en ressort bouleversée, convaincue de voir dans le visage de l'une d'entre eux, celui de sa fille Lola. Comme on le découvrira bien vite, c’ est impossible son enfant a périe dans l’incendie de la maternité six ans auparavant. Pourtant, Elsa qui semblait être sortie de sa dépression en est sûre, quitte à passer pour folle auprès de son entourage (son fils, ses parents, son mari dont elle est en train de divorcer) : cette fillette est bien la sienne. Rapidement, elle se met à espionner Lola et pour récupérer « son » enfant, elle rentre insidieusement dans la vie de sa mère, Claire Vigneaux (Sandrine Bonnaire). S'engage alors, un face à face animal entre les deux femmes … Je n’irais pas plus loin de peur de déflorer le sujet.
Le film comporte trois parties distinctes :
Durant la première, c’est le portrait d’une femme filmé avec rigueur que nous propose Safy Nebbou. Catherine Frot y est merveilleuse. On ressent tous ses conflits intérieurs. La bataille destructrice entre son instinct et sa raison. Ses doutes sont les nôtres : est-elle retombée en dépression, est-ce la folie, est-ce sa fille ? Elle est ici à la fois terrifiante et fragile, manipulatrice et attachante. Son incursion réussie dans les rôles dramatiques, avec aussi La Tourneuse de pages de Denis Dercourt et Cavale de Lucas Belvaux, confirme la dimension tragique de nos grands acteurs comiques.
Dans la seconde partie, c’est un thriller psychologique où la caméra de Safy Nebbou joue des cordes du mystère avec subtilité et précision. Les différentes rencontres entre Elsa et Lola donnent lieu à une mise en scène inventive, qui représentent véritablement les états mentaux d'Elsa. Dans la scène mémorable de la piscine, comme dans celle de la patinoire ou du spectacle de danse d’ailleurs, en filmant en scope, par le mouvement ou l’immobilité, par un montage plus ou moins rapide, il retranscrit la névrose de son âme. La tension y est à son paroxysme, je voyais face à moi une Catherine Frot transfigurée en requin des dents de la mère.
Enfin, la dernière partie est celle de la toute aussi parfaite Sandrine Bonnaire et de son secret. On est alors dans le drame et la révélation des non-dits.
On y retrouve également, dans des « petits rôles », des acteurs qu'on aime beaucoup : Sophie Quinton (Qui a tué Bambi ?, Avril), Michel Aumont (La doublure et bientôt OSS 117, Rio ne répond plus) ou encore Wladimir Yordanoff (Un air de famille, Le goût des autres) et Antoine Chappey (La lettre de Manoel de Oliveira, Indigènes). A noter que Catherine Frot et Wladimir Yordanoff avaient déjà eu l'occasion de se donner la réplique en 1996 dans Un air de famille de Cédric Klapisch, une comédie dans lequel Antoine Chappey (mari de Frot dans L'Emprente de l'ange) faisait une apparition.
Le fait est, si vous utilisez de merveilleux ingrédients comme Sandrine Bonnaire et Catherine Frot, que vous faites appel à un vrai cuisinier comme Safy Nebbou qui sait vous faire saliver avec des histoires mystérieuses de schizophrène, que vous utilisez les grands moyens (cinémascope) vous obtenez un plat succulent et délicieusement acidulé.